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Suremballage marketing : dans les Alpes, les marques fleurissent sur les territoires

Dans beaucoup de communes et collectivités, le développement économique est devenu le fer de lance du politique. Dans les Alpes, ceci passe nécessairement par le tourisme, économie omniprésente et intimement liée au territoire. En Savoie, 50% des emplois dépendent du tourisme. Pour le développer, les institutions engagent depuis de nombreuses années des budgets importants (publicité, salons…). Mais quand les territoires politiques n’ont pas de cohérence touristique… on réemballe, on change de nom… et on fête ça avec ses administrés. C’est là que naissent les marques de territoire ! Du vertueux au loufoque, petit tour d’horizon des nouveaux noms, souvent artificiels, nés dans les Alpes.

Du positionnement au consensus politique

Le territoire politique (la commune, l’intercommunalité, le département) correspond rarement au territoire vécu par les vacanciers. Une personne en vacances à Briançon n’a pas le sentiment d’être à « Serre Chevalier Vallée ». Cette même personne se rendra par ailleurs pendant son séjour plusieurs fois hors de ce territoire (excursion à Embrun, Serre-Ponçon, Montgenèvre, Bardonecchia, Vallée Étroite…). Tant et si bien qu’on se rend vite compte que le territoire, sur lequel on fait porter beaucoup d’espoirs de développement économique, ne porte pas assez fortement la notoriété des lieux… Depuis près de 10 ans, la solution consiste à s’appuyer sur les stratégies du privé en créant, de toutes pièces, des « marques » qui viennent parfois en remplacement de vraies marques installées depuis de nombreuses années. Celles-ci ont par ailleurs une vertu cachée : mettre à plat les ego locaux et repartir sur de nouvelles bases. Depuis deux ans, l’obligation de faire porter la compétence tourisme sur les intercommunalités (nécessité économique parfois mal interprétée au niveau local) a accéléré ce processus d’artificialisation de la communication publique.

Du vertueux… au pompeux !

Les marques de territoire ne datent pas d’aujourd’hui. La mise en tourisme des noms de communes s’est développée en même temps que le tourisme : les communes thermales ont rapidement ajouté « les bains » après leurs noms de communes. Les communes littorales également ont ajouté « sur mer » ou « les flots » pour Palavas. Le Touquet s’est fait appeler « Paris plage » pour se positionner auprès des Parisiens. Chamonix a rapidement ajouté Mont-Blanc à son nom de commune. Tout ceci était validé par les instances de l’État.

Les noms des stations de ski, et plus récemment des domaines skiables, ont aussi été l’objet d’inventivité. Les toponymes locaux ont souvent été utilisés (nom des alpages), l’altitude a été ajoutée au nom quand elle était un argument de vente (Isola 2000, Valmeinier 1800, Orcières 1850) et les « val » se sont développés (Val Thorens, Val Fréjus, Val d’Allos…).

Tous ces noms, déjà « marketés », conjuguaient ancrage local et argument de vente. L’ajout augmentait le lieu et le rendait lisible aux futurs vacanciers.

Ces 15 dernières années, certains territoires se sont regroupés pour correspondre à des espaces cohérents. Ainsi, Chamonix, Les Houches et Argentière communiquent sur la « Vallée de Chamonix », territoire plus cohérent au regard de la géographie des lieux et du vécu des vacanciers. En Haute-Maurienne, les communes se regroupent progressivement depuis près de 10 ans pour communiquer sur un territoire attractif, connu des excursionnistes régionaux,  allant de Bonneval-sur-Arc à Modane. Le nom logiquement trouvé est « Haute Maurienne Vanoise », un mélange d’ancrage local et d’attractivité (l’ajout de Vanoise).

Quand les deux départements de Savoie et de Haute-Savoie ont voulu travailler ensemble, ils ont d’abord inventé « les Pays de Savoie »… un nom tout de suite compréhensible, mais pas très glamour. Des marketeurs bien intentionnés ont ensuite créé il y a 10 ans le nom « Savoie Mont Blanc ». La marque, promue en télévision pendant plusieurs années, est aujourd’hui reprise par de nombreux médias locaux et institutions…

Côté palme d’Or des mauvaises pratiques, citons notamment :

  • Alter Alpa : ce territoire situé « entre Annecy et Genève » (c’est déjà un mauvais point de départ d’être entre deux choses) a créé un nom qui pourrait aussi bien être un bureau d’études, une agence de voyages, qu’un fabricant de meubles écologiques (non loin de là se construisent les cuisines Mobalpa d’ailleurs)…
  • Alpes is’here : là, on franchit le pas du franglais ! L’Isère a une caractéristique particulière : son territoire est à la fois rural (nord Isère), très urbain (Grenoble et le Grésivaudan), et très montagneux. Ceci fait que beaucoup de gens pratiquent le tourisme en Isère, mais personne ne va « en Isère ». On se rend dans le Royan, à Vienne, à Grenoble, dans le Vercors, à Chamrousse, dans l’Oisans… Tous ces sites sont magnifiques… mais l’Isère n’est pas une destination touristique. Les politiques ont donc essayé de créer une marque de territoire qui repositionne l’Isère… dans les Alpes évidemment ! Ainsi naquit Alpes is’here. En français, ça ne veut rien dire. En Anglais, ça ne veut rien dire non plus… Nul doute que les prochaines années verront la naissance d’une nouvelle marque…
  • In Annecy Mountains : Annecy et les bords du lac ont une forte fréquentation estivale internationale. Les stations des Aravis sont bien visitées en hiver et en été, mais plutôt par des Français. Depuis quelques années, les institutions touristiques d’Annecy et des Aravis travaillent donc ensemble afin de faire prendre la mayonnaise et faire grandir la destination en commun. Après « Lake Annecy Ski Resorts », marque qui devait remplacer « les Aravis » à l’international, la marque « In Annecy Mountains » a ainsi été lancée en grande pompe en décembre 2017 avec discours d’élus et d’institutions du tourisme… Ici, on mélange hyper urbain et hyper rural et on en oublie qu’une part de l’attractivité vient du lac.
  • Les stations Nice Côte d’Azur : Dans les Alpes Maritimes, il existe plusieurs pôles touristiques : Nice (une des plus grosses villes de tourisme en France), la Côte d’Azur et les stations de ski. Nice et la Côte d’Azur ont une notoriété internationale et une fréquentation soutenue quasiment toute l’année. Les stations, elles, peinent à remplir hors vacances scolaires. L’idée a donc germé de mélanger tout ça pour faire porter la notoriété des stations par la côte. Le comité départemental du tourisme a créé une communication « Côte d’Azur Montagne » et plus récemment la métropole de Nice (qui finance les stations depuis longtemps) a renommé « les Stations du Mercantour » par « Les stations Nice Côte d’Azur ». En novembre 2017, on recevait même un communiqué de presse comme quoi Christian Estrosi avait officiellement annoncé l’ouverture d’Isola 2000.

Chose rassurante : si ces marques créent sans doute une certaine incompréhension auprès des cibles, il semble assez clair qu’elles n’ont pas d’impact négatif sur la fréquentation. On peut donc les laisser à leur rôle premier et leur donner une vertu : fédérer des élus (et parfois les professionnels) et les faire travailler ensemble, transcender l’esprit de clocher et commencer à comprendre que le touriste choisit rarement une commune comme destination touristique et qu’il convient de se pencher sur le territoire. Reste que c’est le contribuable qui paye… et souvent très cher !

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