Stagnation de la fréquentation des skieurs, réchauffement climatique, baisse de fréquentation l’été… les enjeux sont nombreux pour les stations de ski. Et pourtant les opportunités sont, elles aussi, importantes. Avec la montée des pratiques fitness et des aspirations au tourisme durable, la montagne n’a jamais autant répondu aux enjeux de notre société. Si aujourd’hui la profession se concentre sur des objectifs concrets et factuels (neige de culture et augmentation de la capacité d’accueil), nous pensions intéressant de balayer plus large sur les enjeux du tourisme dans les Alpes à plus long terme.
Vendre la neige sans le ski
Encore en 2018, plus de 72% des vacanciers viennent en stations l’hiver pour pratiquer le ski. En 2010, pourtant, un rapport du Crédoc pointait un décrochage des familles françaises, toutes périodes confondues. Le rapport proposait d’explorer la création d’offres de séjours vendant la neige sans le ski, afin de réduire le coût des séjours d’hiver en montagne. Au-delà de la glisse, la montagne offre en effet, en hiver, le meilleur rapport coût/dépaysement/bilan carbone que l’on puisse trouver. Sans dévaloriser le ski, ces nouveaux hivernants viendraient augmenter la fréquentation des hébergeurs de stations. Ils viendraient profiter d’un espace dépaysant, se reposer, pratiquer la raquette, le ski de fond et même le ski alpin, mais occasionnellement.
Développer l’été… et le reste !
Depuis de nombreuses années, la fréquentation en montagne baisse l’été. En stations de ski, c’est encore plus important. Alors que beaucoup de Français se questionnent sur leurs vacances d’été dès le mois de janvier, les stations ne mettent en avant leurs atouts qu’une fois la saison terminée, en mai. Les professionnels d’altitude espèrent chaque année une vague de chaleurs précoces qui stimulerait l’envie de partir à la fraîche, pour fuir la chaleur. La communication des stations se concentre donc sur des réservations de dernière minute. Les hébergeurs, de leur côté, mettent logiquement en avant ce qui correspond aux attentes de leurs clientèles : la mer en été, le ski en hiver. Ils ont donc peu d’impact sur la demande.
La montagne a pourtant de nombreux atouts en été. Elle offre un dépaysement assuré, à quelques kilomètres des villes. C’est un espace de respiration et de reconnexion avec ses proches et avec soi-même. C’est en quelque sorte un territoire qui se prête, en toutes saisons, à beaucoup de tendances actuelles : méditation, yoga, sport fitness, contemplation, retour sur soi et sa famille… Le terroir et l’authenticité (mais l’authenticité n’est pas le folklore) sont également des thèmes forts en montagne qu’il convient de valoriser. Les hébergeurs doivent se saisir de ces tendances pour travailler leur offre et les promouvoir.
Renouvellement urbain
Les stations ont vieilli, c’est un fait. Leur architecture est datée et, souvent, on a préféré construire de nouvelles résidences plutôt que de rénover… Jusqu’à ce que ces nouvelles résidences vieillissent elles aussi. Des initiatives récentes comme Afiniski et Alpes Home aident les propriétaires à inspirer et rénover leurs appartements. Les collectivités accompagnent également les particuliers et copropriétés vers de meilleures performances énergétiques des bâtiments.
Certaines stations travaillent aujourd’hui leur aménagement urbain avec des espaces verts, des trottoirs et du mobilier urbain… Val d’Isère, Megève et Chamonix sont exemplaires à cet effet. En comparaison, toutes les communes touristiques de bord de mer soignent leur fleurissement et leurs espaces publics bien plus que celles de montagne.
Souvent construites entre les années 50 et 70, les stations ont trop souvent un urbanisme anarchique et peu soigné dans un environnement d’exception. Afin de ne pas pénaliser l’attractivité des lieux, les stations doivent penser leurs lieux publics et la circulation piétonne comme le font les villes. Elles doivent continuer à soutenir la rénovation en incitant plus particulièrement les ravalements de façades. On trouve encore, même dans les grandes stations, des bâtiments qui ressemblent à des friches urbaines.
Passer d’une offre d’activité à une offre de destination
En été comme en hiver, les stations communiquent surtout sur les activités à pratiquer. Ski en hiver, rando et vélo en été, centres aquatiques en toutes saisons… les stations se positionnent ainsi plus en destinations de loisirs que comme des sites touristiques. Il y a pourtant autant à faire en Maurienne ou dans les Bauges que dans le Périgord ou à Saint-Tropez.
Les stations doivent envisager leur territoire comme une richesse, dépasser les limites communales, valoriser leur territoire et leurs paysages selon les attentes des clients. Fait-on de la randonnée pour marcher ou pour regarder le paysage ? Pratique-t-on le ski pour le ski ? C’est tout un art de vivre à la montagne inspiré des attentes des urbains qu’il convient aujourd’hui de mettre en avant et de transmettre aux prospects.
Réconcilier le luxe et la population
Le ski est clivant. Les stations et leur appétence pour le luxe également. Dans un pays où 10% des plus riches gagnent 25% du revenu total des Français, l’image des stations trop associée au luxe exclue, de fait, des gens qui, soit méprisent, soit ne se sentent plus concernés par la destination. La récente tendance au développement d’une offre moyen de gamme de qualité tend à ouvrir la destination à d’autres clientèles. Tout du moins, elle permettra peut-être de conserver les clients exclus par la montée en gamme. On trouve maintenant une dizaine d’hostels et d’hébergements de nouvelle génération dans les Alpes et les Pyrénées. Ouverts 6 mois sur 12 pour certains, ils devront néanmoins trouver leur modèle économique dans un contexte où la demande n’est forte que pendant les vacances de Noël et de février .
>> A lire : Hostels dans les Alpes, le point sur ces établissements tendances en stations
Disrupter le modèle du ski
Chaque année, les charges pour les stations augmentent. Une dameuse coûte 250 000 €, une remontée mécanique 5 à 10 millions d’euros. La neige de culture, nouvelle priorité des stations, a un coût important qui n’existait pas auparavant. Tous ces coûts pèsent sur les forfaits de ski, qui augmentent chaque année, plus que l’inflation. Ces augmentations de coût excluent des clients actuels et potentiels.
>> A lire : Le prix des forfaits de ski en hausse de 2,8% en 2019
Certaines stations pratiquent une variation du tarif entre périodes hautes et périodes basses. Dans plusieurs stations suisses, on tente de vendre plus d’abonnements annuels, avec des avantages pour les abonnés. Mais aucune station n’a encore disrupté le modèle du ski à la manière de Free Mobile ou Uber dans d’autres secteurs.
Réconcilier la neige et les seniors
En 2030, 30% de la population française aura plus de 60 ans. La part des moins de 20 ans dans la population passera de 30% en 1980 à 23% en 2030. Quand on sait que les skieurs décrochent du ski vers 45 ans, il paraît urgent pour les stations de redorer l’image du ski et de la neige auprès des séniors. On sait par ailleurs que les séniors ont un niveau de vie mensuel moyen équivalant à celui des actifs en France, ce qui en fait une cible intéressante pour les voyages, surtout pour les périodes hors vacances scolaires.
Du green pas washing
À plus d’un titre, les stations ont besoin de protéger la nature. Parce qu’on attend ça d’elles, bien sûr, et surtout parce qu’elles doivent protéger leur outil de travail. Plus que d’afficher un engagement environnemental, c’est de réelles actions, parfois contraignantes que les consommateurs attendent. Parfois aussi, les montagnards devront réfléchir à l’impact en termes d’image de mesures insignifiantes à leurs yeux (neige de culture, hélitreuillage, bruit en pleine nature…).
Des projets « d’ascenseurs valléens » (funiculaires ou télécabines) sont ainsi en projets un peu partout, pour limiter l’impact des voitures en montagne. Mais ils n’auront un réel impact que si des dispositifs contraignants incitent les touristes ne pas faire les 15 derniers kilomètres en voiture.
La neige de culture, pourtant sans ajouts, reste perçue comme une pollution de la montagne. Les montagnards ne pourront pas agir sur la perception. Ils devront donc composer avec et intégrer la perception client dans leur mode de gestion.
Développer la montagne en adéquation avec les codes urbains
Les montagnards communiquent souvent selon leur spectre de montagnard. Leurs villages seraient des remèdes aux maux des villes : pollution, bouchons, absence de nature, canicule… Ils construisent leurs argumentaires en opposition à l’image qu’ils se font de la ville. Pour autant, aujourd’hui, le tourisme urbain est en pleine croissance, contrairement à celui de montagne. Les touristes de plus en plus nombreux à Barcelone, Lisbonne, Londres et Paris ne viennent pourtant pas y chercher la pollution, le monde ou la canicule. Ils viennent attirés par un tout, fait d’un art de vivre (culture locale, climat, gastronomie…), des grands musées et d’un potentiel de dépaysement qui mêle exotisme et continuité avec leur vie urbaine. L’enjeu pour les stations de ski est fort de devenir des destinations qui parlent aux urbains. Nature, esthétique du paysage, cuisine healthy, modernité, artisans… les atouts sont nombreux à condition de s’ouvrir aux autres et de comprendre les clients de demain.